Umberto Eco, 1932-2016
Décidément, 2016 est cruelle.
Sans Umberto Eco, je ne serais pas la chercheuse que je suis aujourd’hui. C’est aussi simple que cela. Je n'exagère pas.
Avec Maurice Halbwachs, Husserl, Paul Connerton et Benedict Anderson, Umberto Eco a construit la base de mon approche analytique. Je suis une anthropologue historique. J’étudie comment les personnes et les communautés s’imaginent et se représentent leur passé, leur présent (et leur existence) et leur avenir. J’étudie comment les narrations qu’elles se font modèlent leurs vie. En quoi elles constituent leur encyclopédie. Je conçois ces narrations de manière phénoménologique, comme étant vécue et ressentie, et j’approche ces histoires, ces textes par la poétique d’Eco. Sans L’Œuvre ouverte, Lector in Fabula et Les Limites de l’interprétation, je ne serais pas qui je suis. Dans ma thèse de doctorat, j’ai 70 pages de théorie et Eco s’y trouve dans presque toutes. Dans mes travaux sur le doublage au Québec, ses réflexions sur la traductions sont partout.
Sans Eco, je ne serais rien.
Mon texte préféré, De Bibliotheca, est une toute petite plaquette, une conférence donnée à Milan en 1985, sur ses bibliothèques préférées (dont Robarts à UofT), sa conception de la bibliothèque idéale, sur Borgès et du bibliothécaire dans Le Nom de la Rose. L’ayant lu dans une édition rare des Éditions Échoppe de 1986, j’en n’ai trouvé une copie pour moi qu’en 2010, dans une minuscule libraire d’Ottawa. J’ai sauté de joie.
J’ai bien sûr lu tous ses romans et presque tous ces autres livres. J’ai bien aimé Le Nom de la Rose et adoré Le Pendule de Foucault*, mais mon roman préféré du Maestro est La Mystérieuse Flamme de la reine Loana. Je me souviens d’en être bien surprise sur le moment, mais c’était pourtant évidant. Le roman présente les dernières réminiscences d’un homme d’âge mûr, au prise avec un AVC majeur, dans l’inconscience des dernières heures de sa vie. C’était pourtant évident, mon roman préféré d’Eco présente la narration constitutive d’un homme à la fin de sa vie.
Il n’y a pas de mot pour exprimer combien je suis triste qu’il n’y aura plus de nouvelles publications du Professore. Bien sûr, il y aura des amas posthumes, mais seront-ils vraiment de lui, ou de ses éditeurs colligeant des fragments pour nous ses élèves attristés?
* Je t’emmerde, Dan Brown