Réflexions sur The Ocean at the End of the Lane de Neil Gaiman.
Version courte: Maudit que c'est bon!
Version plus longue: C'est vraiment très bon. Ce roman court, à peine plus long qu'une novella, présente les souvenirs d'enfance ravivés chez un homme de l'âge de Gaiman qui vient d'enterrer son père dans la petite ville d'Angleterre où il a grandi. Attiré sans trop savoir pourquoi à la vieille ferme Hempstock au bout du chemin où il résidait enfant (le chemin titulaire), le narrateur retrouve le souvenir de ce qui s'est passé quand il n'avait que sept ans et qu'il a rencontr le surnaturel comme il n'en existe que dans les Îles britanniques. Ce sont peut-être des fées, dans le sens ancien du terme. Ce sont certainement "the little people" dans le sens le plus macabre et dangereux du terme. Madame Hempstock, mère, se souvient du big bang, après tout.
Même pour un lecteur adulte, les événements racontés par Gaiman sont terrifiants, d'autant plus que l'enfance réelle de Gaiman s'y trouve parsemée. Comme le postscript l'indique, si les événements du livre sont imaginaires, les lieux décrits sont bien réels: ce sont sa maison d'enfance, son chemin d'enfance, la vraie ferme au bout du chemin qui existe vraiment depuis le Doomsday Book de Guillaume de Conquérant, et la MIni Austin blanche de son père dans laquelle s'est vraiment suicidé leur pensionnaire sud-africain quand Gaiman avait sept ans. La tentative d'infanticide est inventée, mais elle n'en est pas moins épouvantable.
L'histoire est inventée, soit, mais la terreur envers le monde d'un enfant un peu bizarre pour qui les livres sont la seule échappatoire, elle, est bien réelle. Elle l'était pour Gaiman quand il était petit. Elle l'était pour moi aussi. La plupart des adultes oublient cette terreur au fil du temps, comme le narrateur oublie ses visites à la ferme Hempstock d'une fois à l'autre. Que cet oubli soit causé par Madame Hempstock, fille, ou par la nécessité de l'âge adulte n'importe pas. Ce qui importe est que quelques artistes comme Gaiman (et comme Tim Burton, d'ailleurs) ne l'oublient jamais. Il en résulte dans toute l'oeuvre de Gaiman, l'assurance que l'enfance est une période plus sombre que ce que les adultes n'osent s'avouer, où les monstres sont bien réels, même s'ils sont inventés, et que le vrai monde est grand, compliqué et dangereux. La mort est là. La peur est là. Les mystères sont tout autour de nous. Les adultes choisissent simplement de ne plus les voir. Coraline et Nobody Owens en ont fait l'expérience et en ont bénéficié; ils en ont sortis grandi, littéralement dans le cas de Nobody. Dans ces deux livres pour tout âge, la rencontre avec le surnaturel est un pas vers la découverte de soi. Dans Ocean, seul l'oubli permet de continuer à vivre sans trop de dommage. Toutefois, le narrateur grandit et devient meilleur en vieillissant, et il retourne sans s'en souvenir voir l'océan au bout du chemin, pour se montrer à la petite Lettie Hempstock, avec qui il a frôlé la mort et qui s'est sacrifiée pour lui. Parce "qu'on ne peut pas échouer à être une personne", même quand on fait des erreurs, même quand on choisit le mauvais conjoint pour nous, même si les choses sont difficiles et tristes.
Les lecteurs avides de Gaiman retrouveront beaucoup de points communs avec ses romans précédents, romans jeunesse comme pour adulte. Ceux qui s'attendent à un pavé comme Good Omens ou American Gods seront peut-être déçus de sa brièveté. Ils auraient tords. On retrouve ici Gaiman au sommet de son art. Son style est achevé et précis comme un scalpel. L'histoire est complète et ne pourrait pas être plus longue. Alors qu'American Gods et Anansi Boys laissaient des portes ouvertes, assez grandes pour que le premier soit adapté et étendu sur 6 saisons par HBO, on ne pourrait ajouter une ligne de plus à Ocean.
Comme je le disais sur twitter hier ou avant hier, dès qu'il est traduit en français, je le donne à tout le monde.
Et ils ne verront plus jamais une vieille couverture grise de la manière.